C’est à la demande du célèbre chef Frieder Bernius que le chœur Stella Maris prépare un programme de motets allemands du XVIIIème siècle, autour de la figure de Johann-Sebastian Bach.Frieder Bernius dirigera en effet une classe de maître pour six élèves en direction de chœur du 23 au 28 mars 2009 au CRR de Paris, classe dont Stella Maris sera le chœur interprète, en partenariat avec l’ARIAM Ile de France. Ce programme sera repris par deux fois en concert sous la direction d’Olivier Bardot, lors des Rencontres Chorales de Levallois le 2 avril 2009, puis à la chapelle du château de Fontainebleau le 4 avril 2009.
On sait que Johann-Sebastian Bach appartenait à une famille musicienne de tradition pluriséculaire. L’incommensurable génie du kantor de Leipzig tient une place si particulière dans l’histoire de la composition occidentale qu’on fait généralement peu de cas de ses contemporains et héritiers. A tort, semble-t-il.
Son cousin Johann-Ludwig (1677-1731), fondateur de la lignée dite de Meiningen, demeura vingt ans durant le kantor admiré de cette ville et composa plusieurs cantates que Johann-Sebastian recopia et reprit à son compte. Les motets Das Blut Jesu Christi et Das ist meine Freudetémoignent d’un art consommé de l’écriture à double chœur, dans un style qui doit encore beaucoup à la musique antiphonaire du XVIIème siècle, celle de Heinrich Schütz en particulier. De ces courtes pièces rayonne une joie sereine et profonde; tout y est dit simplement mais à un très haut degré d’inspiration.
Johann-Christoph-Friedrich Bach (1732-1795) est le 4ème des fils musiciens de Johann-Sebastian ; il fit toute sa carrière comme konzertmeister à la cour de Bückeburg où il fit connaître et admirer les oeuvres de compositeurs classiques allemands, notamment Haydn et Mozart. A cet égard, il n’est pas étonnant de trouver dans son motet Wachet auf, composé en 1780, à la fois la rigueur du contrepoint enseigné par son père (célèbre choral « du veilleur » luthérien traité en cantus firmus, thèmes fugués), mais aussi des cadences et des unissons absolument typiques du classicisme.
On connaît moins Gottfried August Homilius (1714-1785), qui fut élève de Johann-Sebastian à Leipzig avant de devenir en 1755 kantor de la Kreuzkirche. La redécouverte de son œuvre doit beaucoup à Frieder Bernius, qui a proposé de mettre ce Notre-Père (Unser Vater) au programme. Il s’agit là encore d’une œuvre surprenante, à la charnière de deux époques de composition : intercalés entre une ouverture en style ancien et une fugue habilement construite, les mots « pardonne-nous nos offenses » sont illustrés par une incroyable section chromatique aux harmonies fort inhabituelles.
A la lumière des œuvres de ses pairs, on mesure combien Johann-Sebastian Bach est à la fois de son temps et hors du temps. Ni baroque ni classique, il semble aussi éternel qu’inclassable, tant sa musique est irréductible à la seule compréhension des arcanes de sa composition.
Les Motets de Bach sont des cathédrales, au sens architectural du terme, avec toute la puissance symbolique, le sens aigu du sacré, le respect de la proportio divina, le souci du détail comme de la forme tout entière que cela implique : tout chante Dieu, tout danse Dieu, tout élève vers Dieu dans cette musique.
Der Geist hilft unsrer Schwachheit auf est un appel à l’Esprit saint pour venir aider l’humanité pécheresse à se convertir. D’abord, le souffle divin descend en langues de feu (les double-croches) vers ce monde qui ne sait pas le recevoir (l’harmonie se fait alors hésitante, le rythme bancal). Puis la mesure passe de 3 (perfection du Ciel) à 4 (corruption du Monde) pour laisser l’Esprit nous rejoindre et « intercéder pour nous en ineffables soupirs » : alors la polyphonie gémit, torturée par l’incroyable complexité des âmes qui résistent jusqu’à l’ultime cadence! Enfin, la monumentale fugue place les croyants dans une perspective de sainteté : le double chœur se recentre à 4 voix et la création revient dans le giron de l’ordre divin, avant de chanter la gloire céleste dans un des chorals les plus jubilatoires que Bach a jamais écrit.
Komm, Jesu, komm ! est sans doute le plus émouvant des 6 motets, le plus humain en tout cas, puisqu’il parle du surgissement de la présence de Dieu au cœur du désespoir. Les terribles silences qui séparent les 3 invocations initiales rappellent la solitude apparente de l’homme face au mal. La souffrance est d’abord remise au créateur dans une longue plainte : « Mon corps est exténué, la force de combattre me quitte, je languis après ta paix, le chemin est trop ardu pour moi», ce qui se traduit par une tension harmonique extrême et des modulations étranges, sans aucun repos. Soudain la joie et la lumière sourdent du cœur meurtri avec un débordement presque déraisonnable, dans une section à 4 temps jubilatoire. Mais Bach revient aussitôt au ternaire pour replacer ce bonheur dans le sein de Dieu, et la profession de foi « Tu es le chemin, la vérité et la vie » est déclinée à 3 reprises, chaque fois dans une tessiture plus haute et suivant un contrepoint plus riche : la prière des humains rejoint celle, éternelle, des anges.
Olivier Bardot